Prisons : "Indignité totale"
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![]() Philippe Lemoine 20 mars 2015 |
« Quand vous
êtes quatre dans 13 m2, certains prennent le dessus : cela forme des
révoltés ou des loques. La société a-t-elle besoin de cela ? »...
Cette phrase, prononcée par Christophe de La Condamine, un ancien détenu auteur du livre Journal de taule (L'Harmattan), fait écho au rapport annuel du contrôle général des lieux de privation de liberté, publié mercredi.
Frappée par ce qu'elle a vu depuis quelques mois, Adeline Hazan, la nouvelle contrôleure générale, n'a pas hésité à parler « d'indignité totale », en évoquant la surpopulation carcérale. Il manque toujours près de 10 000 places dans les prisons françaises. Alors, au mépris de la dignité humaine, on entasse. Aux lits superposés, s'ajoutent les matelas par terre.
Plus moyen de se retourner, l'enfer devient vraiment les autres. « La perte de l'intimité conduit inexorablement à la déshumanisation », déplore Jean-Étienne de Linarès, de l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture.
Dans les maisons d'arrêt, le taux de surpopulation tutoie régulièrement les 140 %. Dans certaines, il culmine à 200 %. Dans un pays qui crânement se vante d'être la patrie des droits de l'Homme, on vit encore par endroits au temps de la geôle et des cachots. Exagéré ? Pensons aux clichés des cellules immondes de la prison des Beaumettes rendus publics voici deux ans. Ils feraient passer Midnight express pour une brochure de tourisme sur la Turquie.
Combien de rapports faudra-t-il ? Combien de témoignages glaçants de détenus ? Et combien de suicides... pour que la France prenne à bras-le-corps un sujet qui ternit son image ? Notre pays sait voter des lois généreuses, il ne se donne pas les moyens de les appliquer. Celle du 24 novembre 2009 prévoit l'encellulement individuel. En décembre, son application a été, une fois de plus, repoussée...
Machine à radicaliser
Durant quelques semaines, l'État s'est donc payé le luxe de se mettre hors-la-loi. Pour se donner bonne conscience, la garde des Sceaux, Christiane Taubira, a commandé un rapport à Dominique Raimbourg, député socialiste de Loire-Atlantique. Que dit ce spécialiste des questions pénales et carcérales ? Qu'aujourd'hui, la France est bien incapable de placer un détenu par cellule. Que pour y parvenir, au plus tôt en 2022, il faudra construire des places supplémentaires, jouer sur les aménagements et les remises de peines, augmenter les condamnations en milieu ouvert et engager des travaux de réhabilitation dans les actuelles prisons.
Bref, avoir une politique pénale et carcérale volontariste, qui ne cède ni à l'émotion du premier fait divers ni à l'angélisme. Elle est urgente pour les prisonniers, pour l'administration carcérale qui souffre également et pour l'ensemble de la société. Ne fermons pas les yeux sur ce qui se passe derrière les hauts murs. Et gardons bien présent à l'esprit que ceux qui y sont placés vont en sortir. Dans quelles conditions ? 98 % des courtes peines sont des « sorties sèches », sans le moindre accompagnement. La prison ne s'occupe plus de réinsertion, « elle est devenue un garde-meuble pour six mois ou vingt ans », selon Jean-Marie Delarue, l'ancien contrôleur général.
Usine à déshumaniser, la prison est aussi devenue machine à radicaliser. Les petits caïds côtoient les grands bandits, les esprits faibles les théoriciens du chaos. Les derniers attentats nous renvoient à notre échec. À ce refus de faire la lumière sur ce qui se passe à l'ombre.
Frappée par ce qu'elle a vu depuis quelques mois, Adeline Hazan, la nouvelle contrôleure générale, n'a pas hésité à parler « d'indignité totale », en évoquant la surpopulation carcérale. Il manque toujours près de 10 000 places dans les prisons françaises. Alors, au mépris de la dignité humaine, on entasse. Aux lits superposés, s'ajoutent les matelas par terre.
Plus moyen de se retourner, l'enfer devient vraiment les autres. « La perte de l'intimité conduit inexorablement à la déshumanisation », déplore Jean-Étienne de Linarès, de l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture.
Dans les maisons d'arrêt, le taux de surpopulation tutoie régulièrement les 140 %. Dans certaines, il culmine à 200 %. Dans un pays qui crânement se vante d'être la patrie des droits de l'Homme, on vit encore par endroits au temps de la geôle et des cachots. Exagéré ? Pensons aux clichés des cellules immondes de la prison des Beaumettes rendus publics voici deux ans. Ils feraient passer Midnight express pour une brochure de tourisme sur la Turquie.
Combien de rapports faudra-t-il ? Combien de témoignages glaçants de détenus ? Et combien de suicides... pour que la France prenne à bras-le-corps un sujet qui ternit son image ? Notre pays sait voter des lois généreuses, il ne se donne pas les moyens de les appliquer. Celle du 24 novembre 2009 prévoit l'encellulement individuel. En décembre, son application a été, une fois de plus, repoussée...
Machine à radicaliser
Durant quelques semaines, l'État s'est donc payé le luxe de se mettre hors-la-loi. Pour se donner bonne conscience, la garde des Sceaux, Christiane Taubira, a commandé un rapport à Dominique Raimbourg, député socialiste de Loire-Atlantique. Que dit ce spécialiste des questions pénales et carcérales ? Qu'aujourd'hui, la France est bien incapable de placer un détenu par cellule. Que pour y parvenir, au plus tôt en 2022, il faudra construire des places supplémentaires, jouer sur les aménagements et les remises de peines, augmenter les condamnations en milieu ouvert et engager des travaux de réhabilitation dans les actuelles prisons.
Bref, avoir une politique pénale et carcérale volontariste, qui ne cède ni à l'émotion du premier fait divers ni à l'angélisme. Elle est urgente pour les prisonniers, pour l'administration carcérale qui souffre également et pour l'ensemble de la société. Ne fermons pas les yeux sur ce qui se passe derrière les hauts murs. Et gardons bien présent à l'esprit que ceux qui y sont placés vont en sortir. Dans quelles conditions ? 98 % des courtes peines sont des « sorties sèches », sans le moindre accompagnement. La prison ne s'occupe plus de réinsertion, « elle est devenue un garde-meuble pour six mois ou vingt ans », selon Jean-Marie Delarue, l'ancien contrôleur général.
Usine à déshumaniser, la prison est aussi devenue machine à radicaliser. Les petits caïds côtoient les grands bandits, les esprits faibles les théoriciens du chaos. Les derniers attentats nous renvoient à notre échec. À ce refus de faire la lumière sur ce qui se passe à l'ombre.